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jeudi 11 novembre 2010

Les ravages d’une guerre arbitraire


Avril 2003


Les ravages d’une guerre arbitraire

Un test pour les armes électromagnétiques

Juste avant le début des bombardements, le Pentagone a annoncé la mise au point d’une super-bombe dite « thermobarique », la plus forte jamais réalisée. Sa petite sœur avait été utilisée en Afghanistan, en 2002. Le Pentagone compte bien tester en grandeur nature d’autres armes nouvelles, comme la bombe à micro-ondes, l’« e-bombe », apte à détruire les réseaux d’ordinateurs... et prétendument « non-létales ».

Par Karyn Poupée

Pas de bruit, pas de fumée, pas d’odeur. La bombe est invisible : elle ne soulève pas de poussière, ne creuse aucun cratère. Pas de morts, pas de civière non plus... Cette arme-là, improbable, existe pourtant. Son nom :e-bomb, la bombe électromagnétique. Elle n’a jamais encore été utilisée sur le champ de bataille.
L’effet des impulsions micro-ondes sur les systèmes électroniques a été découvert, un peu par hasard, lorsque les armées ont constaté que, à proximité de leurs radars les plus puissants, les appareils électroniques tombaient en panne. Le champ électromagnétique créé à la suite d’une explosion atomique en haute atmosphère avait les mêmes conséquences.
Restaient à étudier plusieurs solutions technologiques pour la création d’une gamme variée d’e-bombs à intégrer dans des obus, missiles, avions, camions, satellites, valises, etc. Leurs cibles ? Les câbles, les réseaux, les serveurs, les circuits de communications électroniques, les processeurs, les commutateurs, les serveurs, les ordinateurs, le cœur des bunkers - ces derniers se révélant difficiles à atteindre par d’autres moyens. Conséquences directes ? L’interruption momentanée ou définitive des communications, des échanges de données, des systèmes de commande, des appareils de détection, de mesure et de contrôle. Leur emploi viserait, dans le cadre d’une offensive aérienne ou terrestre, à isoler l’ennemi, à le placer dans l’incapacité de contrôler ses moyens et ses forces ou de s’informer de l’état de la bataille en cours.
Les bombes électromagnétiques appartiennent à la catégorie des armes dites à énergie directe - plus précisément, à la famille « micro-ondes de forte puissance » (MPF ou, en anglais, HPM, high power microwaves weapon). Elles ne relèvent plus de la science-fiction. « De telles armes s’inscrivent dans l’évolution logique des technologies d’attaque et de défense », commente M. François Debout, le sous-directeur des stratégies techniques à la direction générale pour l’armement (STTC-DGA) française. En l’espèce, il s’agit d’engins de différentes tailles (de la valise au camion) composés d’une source d’alimentation, d’un générateur d’impulsion, d’un tube hyperfréquence et d’une antenne, et capables de produire de très brèves et très puissantes impulsions électromagnétiques avec des fréquences, une portée et une directivité variables.
Leur impact direct sur les êtres humains est jugé nul, faute de preuve du contraire. « Du fait de la brièveté des impulsions micro-ondes, explique M. Debout, il ne se produit pas d’agitation des molécules d’eau susceptible de générer une élévation de la température corporelle. »Autrement dit, ces micro-ondes n’ont pas, en théorie, le temps de faire « cuire » les êtres vivants se trouvant dans leur rayon d’action - sauf en cas de défaut qui induirait une exposition prolongée. Tous les équipements électriques et électroniques, en revanche, sont vulnérables à ces impulsions. D’autant que la miniaturisation des composants accentue leur sensibilité à l’environnement électromagnétique.
Depuis la fin des années 1980, en Californie, le laboratoire américain Lawrence Livermore, celui de Los Alamos, ainsi qu’un laboratoire de l’US Air Force, conduisent des programmes de recherche sur ce type d’armes. En attestent les rapports publiés, dès 1988, par leurs chercheurs (1) ainsi que les conférences secrètes organisées sur ce thème en 1993 à Los Alamos en présence de parlementaires et de représentants de l’US Navy et de l’US Air Force. Depuis le milieu des années 1990, les documents budgétaires du département de la défense mentionnent également les programmes MPF, sans toutefois donner de détails..

Un essai grandeur nature

En 1994, de premiers essais ont lieu pour mettre au point des systèmes de protection contre les e-bombs destinés notamment aux avions F-16. En 1996, l’étude passe au stade de la modélisation informatique. La même année aurait été signé le premier contrat de développement avec un constructeur (dont le nom n’est pas rendu public) pour la production d’un générateur (2).
En 1997, un essai grandeur nature est effectué en Californie, prenant pour cible un hélicoptère. A partir de 1998 débute la phase plus concrète de développement, après « la démonstration de la capacité opérationnelle des MPF à détruire des cibles déterminées dans un environnement naturel et la validation des critères requis pour l’utilisation de tels systèmes (3) ». L’année 2000 est celle de la mise en œuvre d’une arme mono-impulsion destinée à contrer les défenses antiaériennes.
En toute probabilité, les Etats-Unis sont en possession d’armes MPF montées sur missiles et prévoient d’en installer sur des avions avec et sans pilotes. Ils sont en revanche nettement moins avancés sur les programmes de défense face à ce type d’engins. Selon le capitaine Tom Jost, du Centre de sûreté de l’Air Force (Air Force Safety Center), les programmes mis en œuvre pour étudier la vulnérabilité des matériels et des humains et élaborer des moyens de protection et de défense aboutiront à des mesures concrètes de grande ampleur à la mi-2003 (4).
La France, de son côté, mène des recherches sur différents aspects avec l’aide de laboratoires universitaires (Limoges, Lille) et d’écoles d’ingénieurs (Supélec et Polytechnique, sur le plateau de Saclay), « mais aucun programme de développement n’a été décidé », affirme, pour la DGA, M. Debout. Comment inclure des armes MPF dans des équipements divers ? Comment garantir l’adéquation cible/moyens, éviter de créer des dommages fratricides ou de mettre cette technologie entre les mains ennemies suite, par exemple, à la perte d’un missile équipé ? Telles sont quelques-unes des questions soulevées. Outre les Etats-Unis, qui semblent avoir en partie résolu ou évacué ces problèmes, les plus avancés seraient, si l’on en croit les rapports du département américain de la défense, les Britanniques, les Chinois, les Allemands et surtout les Russes.
En 1998, selon le journal suédois Svenska Dagbladet, l’Australie et la Suède avaient acheté à la Russie, à des fins de test, une petite arme MPF pour quelque 150 000 dollars (autant d’euros). Et, depuis octobre 2001, la société russe Rosoboronexport propose des équipements entrant dans cette catégorie - dont le Ranets-e, un système mobile de défense agissant dans un rayon de 10 km avec des impulsions de 10 à 20 nanosecondes et d’une puissance de 500 mégawatts.
En août 2002, le secrétaire américain à la défense, M. Donald Rumsfeld, a laissé entendre que de telles armes - considérées outre-Atlantique comme « non létales » (5) - pourraient également faire partie de l’arsenal américain en cas de conflit avec l’Irak : « You never know »(« Allez savoir »), se contenta-t-il de répondre. Pour M. Debout, e-bombou pas, la « guerre propre » demeure un concept insensé : « Je me refuse de toute façon à qualifier cette arme de non létale. Imaginez qu’un avion de ligne soit touché par un tel système... »
« Arme à produire des accidents », conclut, en philosophe, Paul Virilio..


Karyn Poupée.